Désolations, de David Vann

« Je t’aime, connard ».

Laissez-vous emporter dans l‘univers sombre et hostile de cet écrivain hors du commun. Dans une ambiance froide, brutale et terrifiante, on assiste, impuissant, au naufrage de relations amoureuses dont on devine avec horreur l’issue tragique et inéluctable.

RÉSUMÉ :

Gary et Irene sont mariés depuis 30 ans et ont deux enfants, Mark et Rhoda, devenus adultes. Désespérément en quête d’une réalisation qui sauvera sa vie de l’échec, Gary entraîne sa femme dans la construction d’une cabane en rondins sur une île déserte, cette dernière sombre dans une paranoïa providentielle, alors que Rhoda court après une demande en mariage qui n’en finit pas de se faire attendre. Quant à Mark, il tente bien de prendre ses distances, mais qui peut échapper à son destin familial?

MON AVIS : un roman fort, glaçant, dérangeant. On n’en sort pas indemne.

David Vann

David Vann cultive une saine ambivalence. Marqué par une famille au destin tragique, cet homme souriant, au visage lumineux, semble avoir choisi la littérature comme exutoire d’un passé marqué par des tragédies dont il nourrit son œuvre. Il réalise ainsi dans ce dernier ouvrage une fine autopsie, quoique brutale, de l’âme humaine et des relations amoureuses.

Le froid polaire semble avoir glacé les habitants d’Alaska. Enfermés dans leur morosité, prisonniers de leurs échecs, leurs pitoyables gesticulations sont autant de vaines tentatives pour forcer le destin, telles des abeilles engluées dans le miel. Prisonniers consentants de relations amoureuses désolantes, mari et femme finissent par se retourner l’un contre l’autre et se détruire mutuellement.

Désolations, c’est aussi une réflexion sur la notion de responsabilité face à son destin, sa vie, son bonheur. Jusqu’où puis-je entrainer l’autre dans mes errances? Qui accabler pour l’échec de ma vie? Torturer mon conjoint et mes enfants permet-il d’évacuer l’agressivité que nourrissent l’amertume et le désespoir?  Mari, femme, enfants, personne n’échappe à la vindicte de ces personnages noyés dans leur mal-être.

Quant aux talents de l’écrivain, ils sont indéniables. Quel auteur peut encore se targuer de maîtriser suffisamment les codes narratifs et littéraires pour créer son propre style? Dans ce roman, les dialogues se fondent dans la narration, aucun des échanges n’est mis en exergue, comme pour mieux marquer la dissolution des personnages dans leur environnement et leur impossible maîtrise des évènements. Porté par l’intrigue, l’auteur est phagocyté par ses personnages, le dénouement lui échappe, et on sombre avec lui dans un tourbillon infernal.

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JE VOUS LE CONSEILLE SI…

… vous êtes amateurs de romans qui incitent à la réflexion. Désolations est dérangeant et il est difficile de ne pas se laisser contaminer par les errances des personnages et les questionnements que distille habilement l’auteur. A tel point que sa femme, à l’issue de la lecture du manuscrit, demanda avec inquiétude à David Vann : « Tout va bien entre nous? ».

EXTRAITS :

Quand le dialogue cède le pas à la violence :

  Tu penses mériter quelqu’un de mieux que moi.
..Peut-être que c’est le cas.
..Irene le frappa, un coup de poing violent qui rebondit sur son avant-bras. Il se recroquevilla dans son sac de couchage et elle continua à la frapper sans rien dire, des coups durs martelés sur son corps, encore et encore. Sans toucher le visage, se retenant encore. Pourquoi tu te retiens? lui demanda-t-il. Pourquoi tu ne me frappes pas au visage?
..Parce que je t’aime, connard. Et elle éclata en sanglots.

VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :

Rien ne s’oppose à la nuit,
de Delphine de Vigan

Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen, d’Aarto Paasilinna

Un autre roman très sombre de cette rentrée littéraire Il y fait froid, mais Belzébuth réchauffe l’atmosphère.

Plus d’avis sur Désolations chez Hérisson dans le cadre du Challenge 1% rentrée littéraire 2011 et chez Nina avec un classement par titres! Un grand merci à Rémy et à Price Minister pour m’avoir permis de découvrir Désolations!

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Publié le 22 octobre 2011, dans .Romans étrangers, Partenariats, et tagué , , , , . Bookmarquez ce permalien. 26 Commentaires.

  1. Je partage ton avis en tous points. Je suis fascinée par cet auteur qui va encore plus loin dans le sombre et le desespéré que pour Sukkwam Island. Je suis ravie de trouver enfin un bon commentaire sur ce roman : yv a détesté et bcp d’autres aussi. Pour moi c’est un roman largement aussi réussi que lz premier. J’aime l’univers glauque et froid de Van et je suis ébahie par la maniere dont il nous hypnotise nous obligeant à regarder sans sciller un nauvrage que l’on sait ineluctable dès le début. J’attends le troisieme avec impatience.

    • Merci pour ce superbe commentaire plein d’enthousiasme! Je vais aller voir le billet d’Yv et tenter de trouver d’autres avis plus mitigés que le mien.
      Je pensais partir avec un avantage car je n’ai pas lu Sukkwam Island, mais il semblerait, à te lire, que Désolations soit tout aussi bien.
      C’est vrai que ce roman est d’autant plus dérangeant qu’on est littéralement capté par ces histoires sordides. Est-ce une forme de voyeurisme? De masochisme? Ou tout simplement le talent de l’auteur qui nous ensorcèle?
      En tout cas, quand on aime les univers sombres, on aime David Vann…
      Tout comme toi, je vais suivre cet auteur de très, très près.
      A très bientôt!

  2. ayant adoré « Sukkwan Island », je comptais bien le lire, tu achèves de m’en convaincre, tu en parles très bien…mais j’ai encore deux autres lectures en attente, et ensuite je pense que ce sera Désolations…alors je reviendrai t’en parler!

    • Je serai curieuse de connaitre ton avis sur Désolations, si tu as déjà lu Sukkwan Island.
      J’ai eu un véritable coup de cœur pour David Vann. J’ai vu des vidéos de certaines de ses interviews et je suis tombée sous le charme de cet écrivain dont les livres sont si sombres, et le sourire si lumineux. Ses interviews sont ponctuées d’éclats de rire…
      Bref, petit aparté pour dire que j’ai très, très envie de lire Sukkwan Island… J’ai lu ton billet et je crois que je vais me faire offrir ce livre prochainement 😀 (M. Choco? ceci est un MESSAGE !!)

  3. J’ai lu sur ce roman des avis divergeants, certains disant qu’il ressemble trop à son précédent (que j’avais beaucoup aimé). Du coup j’hésite.

    • Effectivement, il semblerait qu’il y ait de grosses similitudes. Mais comme le précise Attila un peu plus bas, je pense que c’est un auteur qui explore son univers. ahh, je ne vais pas tenir longtemps avant de lire Sukkwam Island, il va décidément falloir que je me fasse mon idée… 😉

  4. J’ai eu du mal avec Sukkwan Island, j’en suis ressortie fascinée et écoeurée. Il y avait un nombre incroyable de détails sordides et horribles et je suis allée jusqu’à la fin du livre parce que l’auteur a un vrai talent pour tenir le lecteur en haleine. Mais ce que tu dis de celui-ci me semble plus attrayant. Je vais tout de même aller voir le billet d’Yv.

    • Ouh làlà, je ne m’attendais pas à tant de noirceur dans son premier roman! David Vann semble être le Woody Allen de la littérature : gai, positif, souriant dans la vie, il exorcise ses plus profondes noirceur dans son oeuvre… Et il semble que son prochain opus concerne la lignée maternelle, qui n’est pas en reste non plus…

  5. C’est vrai que Desolations a des points communs avec SUKKWAM ISLAND (à commencer par le titre original : CARIBOU ISLAND en anglais au lieu de desolations ). Les deux sont des huis clos familiaux, l’univers est aussi sombre et désenchanté. .. Mais là ou Yv voit un bis repetita, je vois un auteur qui continue l’exploration de ses obsessions morbides, de son passé, bref de son univers. Et c’est exactement ce que j’aime xhez les auteurs

    • Chère Attila, je te rejoins entièrement… J’ai une vraie fascination pour les auteurs qui explorent leur univers intérieur. A mon sens, Amélie Nothomb est de ceux-là; mais si on rebondit sur ce dernier exemple…. elle s’essouffle et j’espère que David Vann saura s’arrêter à temps. Delphine de Vigan est également complètement dans cette tendance. Et si tu veux aller jeter un œil sur la discussion autour du Coeur régulier d’Olivier Adam, on est un peu dans le même esprit.
      J’avais vu le billet d’Yv: il semblerait que globalement, ce soit un avantage de ne pas encore avoir lu Sikkwam… 😉 J’avais un oeil neuf sur ce roman!

  6. J’ai eu un grand coup de cœur pour ce roman dont tu parles très bien ! 🙂

  7. Zut, je n’ai pas envoyé mon loong message !!! Bon je répète (en court) : j’ai lu en diagonale car je dois le lire pour PM (ce n’est pas le n°1 de la liste) mais n’ayant pas lu Sukkwan Island je pars vierge de tout a priori !

  8. J’avais beaucoup aimé « Sukkwan island », j’ai moins adhéré à celui ci, j’ai retrouvé un peu la même histoire et les même ficelles. Trop morbide.

  9. J’aime beaucoup ton billet? Tu parles très bien de ce roman que j’ai également adoré. Il semble que les deux romans aient une inspiration autobiographique : Jim, personnage des deux romans, serait son père. Ce que je me demande, c’est ce qu’il va écrire maintenant qu’il s’est inspiré des deux drames familiaux, Va-t-il retrouver l’inspiration ? En tous cas, c’est un auteur à suivre…

  10. @ Liligalipette : merci! 😀 Je viens d’aller lire ton billet, et j’ai souri en lisant cette phrase très bien vue : « L’Alaska ne semble plus si hostile quand on a jeté un regard dans le cœur de Gary ou d’Irene. »…

    @ Asphodèle : ahhh, sapristi, quel dommage, moi qui aime tant les messages, et long a fortiori!! 😀 Tout comme toi je n’avais pas lu Sukkwam Island et, au risque d eme répéter, nous avons toi et moi une chance extraordinaire car… nous allons le découvrir pour la 1ère fois…

    @Laure : effectivement je comprends ton point de vue, qui reflète celui de nombreux lecteurs… Tu as raison, ce livre nous « mange et nous épuise »!

    @ Prune : merci! ;-D Petite info : il vient de terminer son nouveau roman, intitulé Dirt, inspiré de sa famille maternelle (tout aussi dévastée que sa famille paternelle semble-t-il)… Peut-être l’aurons-nous lors de la rentrée littéraire 2012?

  11. Un gros coup de coeur aussi ; pour avoir lu également Sukkwan Island, c’est en effet le même genre, mais je ne trouve pas que ça fasse « redite », cela dit je les ai lus avec deux ans d’intervalle…

    • Effectivement, le fait de les lire avec un peu de décalage a pu permettre de ne pas avoir l’impression de lire une copie du 1er roman… Je ne vais laisser passer quelques mois pour mieux apprécier la lecture de Sukkwam Island! 😉

  12. Je n’ai lu ton billet qu’en diagonale car ce roman est dans ma pal et je ne veux pas le déflorer…

  13. j’aime bcp la première citation… Sukkwan island me hante encore.

    • D’après tous les commentaires, Sukkwam Island semble plus poignant encore que Désolations… Je crois que je vis adorer. 😉
      J’ai hésité entre de nombreux passages. Quelle vision terrible de la vie de couple…

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