Jours sans faim, de Delphine de Vigan

Autopsie d’un retour à la vie.

Ce premier roman de Delphine de Vigan laissait présager la suite : ce petit livre recèle déjà les ingrédients du succès futur de son auteur. L’habileté et la sobriété de l’écrivain sont déjà bien présentes, chaque mot est pesé, pensé, narrant l’histoire avec une subtilité d’autant plus appréciable en ces temps où l’hyperréalisme damne le pion au lyrisme et à l’élégance.

RÉSUMÉ :

Laure se laisse mourir de faim, sans comprendre ce qui l’a amenée à ce stade ultime de l’anorexie. Arrivée au bout de la route, elle saisit sa dernière chance d’en réchapper et se fait hospitaliser sous la houlette d’un médecin auquel on devine que la jeune fille voue admiration et profonde reconnaissance.

MON AVIS : un premier roman très abouti, beau et sobre.

Habituellement, les récits traitant de l’anorexie s’épanchent sur l’apparition de la maladie, l’installation des symptômes et expliquent avec force de détails les privations, vomissements, exercices physiques et comptages de calories. En témoignent dernièrement Sobibor ou Les vaches de Staline, volontairement effrayants et écœurants, s’appesantissant sur des anecdotes peu ragoûtantes. Jours sans faim est d’autant plus remarquable dans le paysage littéraire actuel qu’il ne recèle ni complaisance, ni auto-apitoiement. Ce livre relate le chemin vers la guérison, sans pour autant masquer la souffrance physique quotidienne : le froid qui s’insinue dans chaque pore, les jambes qui ne parviennent plus à porter les maigres 35 kilos de Laure, la peur de la mort.

Laure et Delphine de Vigan sont une seule et même personne. Si l’auteur a écrit ce roman, c’est aussi parce qu’elle s’en est sortie : derrière la réalité se cache une lueur d’espoir, un optimisme incroyable qui transforme une situation inextricable en un sinueux périple vers la liberté : liberté de vivre, de manger, de ressentir. Peu importent les raisons qui conduisent les malades dans le service hospitalier qui héberge Laure : ce roman s’attache à décrire la lente guérison, sans chercher à décoder les rouages psychologiques qui mènent à l’anorexie, comme si finalement l’auteur avait réalisé qu’arrivée à un certain point, l’essentiel était de décider de vivre et non de chercher à comprendre.

Delphine de Vigan a tracé une voie qu’il est agréable d’emprunter : celle d’une littérature vraie sans pathos ni narcissisme, sensible mais exempte d’affectation et se sentimentalisme outrancier. Cela ressemble fort à une main de fer drapée dans un gant de velours.

JE VOUS LE CONSEILLE SI…

… vous n’avez pas encore lu Delphine de Vigan : ce roman est une belle introduction à son œuvre d’inspiration autobiographique et vous permettra d’avancer crescendo dans la découverte de cet écrivain.
… vous en avez assez des livres qui assènent des mots et des images d’une violence et d’une crudité insupportables : on peut traiter de sujets poignants, forts, dérangeants avec un brin d’humour, du recul et un vocabulaire mesuré sans entamer un seul instant la perception de la réalité.

EXTRAITS :

Avec une précision chirurgicale, Delphine de Vigan dissèque les sensations de Laure et sa renaissance :

Petit à petit elle sort d’une torpeur dont elle avait à peine conscience. Petit à petit, elle retrouve malgré elle le goût des autres. Elle en paie le prix. Il se compte en kilos. Enfermée dans un frigo infernal, elle ne percevait rien d’autre que le bruit de sa respiration. Elle pouvait à peine parler. Elle ne pouvait rester plus de dix minutes au cinéma, elle ne pouvait plus lire un livre, elle était rongée de l’intérieur, elle avait perdu toute perception affective des gens et des choses, elle crevait de froid et de peur. Elle a peine à y croire. Elle revient d’une terre aride qu’elle ne peut raconter (…).

VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE :

Robert des noms propres,
d’Amélie Nothomb
Le cuisinier,
de Martin Suter
 L’humour d’Amélie Nothomb et son regard sur l’anorexie Pour se (re)donner le goût de manger

Ce livre s’inscrit dans le cadre du délirant Challenge psy organisé par The Book Addicts…. pour voir les livres lus par les patients de ce Challenge, c’est ici: CLIC! 😉

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Publié le 30 décembre 2011, dans .Romans français, et tagué , , . Bookmarquez ce permalien. 22 Commentaires.

  1. Jours sans faim pour « Littérature et chocolat ! ». J’ai ce livre dans ma pile et son dernier. J’attends toujours avec elle d’être suffisamment réceptive à ce qu’elle va me raconter.

  2. Je pense que je vais le lire prochainement, pas tout de suite (je purge à petite vitesse, mes lectures en retard), histoire d’analyser l’univers de Madame de Vigan (au bout de quatre livres, je pense que je vais finir par la connaître un peu mieux)

  3. Je n’ai pas lu ce titre là. Elle parle de cet épisode autobiographique dans « Rien ne s’oppose à la nuit », je ne sais donc pas si je le lirai. Car certes, elle possède une écriture fluide et l’art non cru (oui, y’en a marre, tu as raison 😉 !) de dire les choses mais toutes ses introspections intimistes me dérangent quelque peu… Sur ce sujet terrible qu’est l’anorexie, je me souviens du « Pavillon des enfants fous » de Valérie Valère, qui m’avait beaucoup marqué en sortant de l’adolescence (ça date, il est vrai 😉 !).

    • Je craignais un peu ce Jours sans Faim, justement parce que l’anorexie est, d’une part, un sujet traité et « re-traité », vraiment à la « mode », et aussi parce qu’on a l’impression d’avoir tout lu, tout vu sur ce sujet. Et là : surprise! Ce qui prédomine, c’est ce froid terrible qui l’accompagne chaque jour. Et finalement, elle se met moins en scène qu’elle ne parle des autres patients du service (qui n’est pas un service destiné aux seules anorexiques, on a donc des réflexions « savoureuses » de personnes qui sont au régime…)

  4. Hello !
    Je viens de me procurer « No et moi », que j’ai choisis pour découvrir l’univers de cette auteure. J’avais bien aussi jetté un oeil sur ses autres ouvrages mais j’avoue que le titre de celui-ci m’avait un peu découragée…heureuse de lire un commentaire positif donc. A voir pour la suite peut-être alors… 🙂

    • Eh bien vois-tu… le seul que je n’ai pas envie de lire est « No et moi ». D’une part il a été adapté au cinéma (chez moi, c’est toujours un mauvais point, pourtant, le romans « Le chocolat » a été merveilleusement bien adapté et est un superbe roman – je vous conseille d’ailleurs les autres romans de Joanne Harris), d’autre part parce que j’ai l’impression de l’avoir lu tellement j’ai vu d’extraits du film… à voir, donc… et peut-être préféré-je les romans d’inspiration autobiographique chez Delphine de Vigan (si vous me dites que No et moi est auto biographique, je fonce l’acheter! 😉 )

  5. elle évoque dans Rien ne s’oppose à la nuit ses problèmes d’anorexie et son hospitalisation, je trouve que tu parles très bien de son style si personnel, je n’ai pas encore lu ce livre, un jour sans doute! j’en profite pour te souhaiter une gourmande et prolifique année 2012!

    • Oh, désolée du retard dans ma réponse, ton commentaire avait échappé à ma vigilance! je te conseille Jours sans faim si tu aimes cet auteur…. tout comme je te conseille les Heures souterraines… ce dernier est terrible dans son genre, je lirai ta critique avec plaisir!
      Merci pour tes voeux Sophie, je te renouvelle les miens! (nous nous sommes croisées depuis…)

  6. Je te souhaite une très bonne année 2012 pleine de gourmandises littéraires !

  7. Un titre qui ne va pas avec ton blog… mais un livre que je pense lire un jour!

    Une très belle année à toi!

  8. Ce livre m’a bouleversée et m’a permis de mieux comprendre certaines anorexiques que j’ai pu croiser. Et puis, cette guérison est celle de l’anorexie, mais pourrait l’être aussi de bien d’autres maladies psychiques, mentales. A lire pour comprendre.

  9. Bonjour,

    j’ai mis tes livres à jour dans le Challenge psy,
    je n’avais plus de connexion, voilà qui est rétabli.
    Je t’ai changé de catégorie comme tu l’as demandé 🙂
    Bon week end et à bientôt donc!

  10. bonjour, pour demain je dois rendre un devoir sur ce livre que j’ai beaucoup aimé, je voudrais trouver l’extrait ou Laure cite le titre, le moment ou elle dit des jours sans faim.
    C’est très urgent si quelqu’un peu m’aider cela serait extrêmement gentil.

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